Editos
Les pensées confettis
Nous vivons singulièrement deux périls opposés de façon simultanée : l’uniformisation et la parcellisation. L’uniformisation est constituée par la marchandisation de la planète, sa normalisation et sa standardisation : les mêmes produits de masse partout, les mêmes modes vestimentaires ou de pensée. La parcellisation est son pendant : chacune et chacun dans son coin ou replié sur sa communauté réelle et virtuelle.
Le grand danger est une atomisation dans des égoïsmes concurrents ou des séparatismes autarciques. Chacune et chacun pour soi. Chacune et chacun pour son groupe, contre les autres. Le climat de haines qui monte est en effet très inquiétant. Pourtant, les grandes questions environnementales sont locales et globales. Elles devraient conduire à se comporter en terristes soucieuses et soucieux de l’ici et de l’ailleurs. Le grand parti aujourd’hui est le parti de notre bien commun : la planète Terre. Nous devrions réfléchir constamment à nos unités de valeurs universelles (sur quoi baser nos valeurs communes dans la diversité des pensées et des croyances).
Alors, en quoi cela a-t-il des conséquences pour ce qui nous concerne directement sur ce site, l’éducation aux images ? En ce que les consciences confettis de notre époque deviennent incapables de relier les choses entre elles. On aime ou on n’aime pas un film sans rien savoir du réalisateur, de l’histoire du cinéma, des liens avec les autres formes d’expression visuelle. Nous manquons de liens dans tous les domaines. Chacune et chacun possède des connaissances éparpillées (les meilleurs spécialistes sont pourtant des spécialistes-généralistes, hyper compétents et spécialisés mais traitant leur spécialité avec la hauteur de vue des mouvements généraux). Quand il ne s’agit pas de croyances concurrentes et antagonistes se moquant des faits, de marketing dans le news market, de compétition victimaire...
Disons-le, comment prétendre juger et choisir sans éléments de connaissances ? Il s’agit alors de pensées-réflexes fondées sur des à priori, pouvant mener aux plus dangereuses conséquences.
Voilà pourquoi, outre le fait de réfléchir en fonction de notre environnement local et global, il importe de posséder des bases éducatives sur les images et leur accompagnement. Pour cela, il est essentiel de partir d’un fonds commun, celui des sciences critiques, évolutives, expérimentales, fondées sur des faits vérifiés. Si cette base n’est pas acceptée comme socle, ce sont des croyances et avis éparpillés qui prévalent et aucun dialogue n’est possible.
Cette base –pour notre domaine-- doit reposer sur des connaissances en histoire générale du visuel, permettant de se situer dans le temps, dans l’espace et par support. Cette base est complétée par des techniques d’analyse et des travaux de terrain. Elle nous fait comprendre notre situation stratifiée du local au global, hier et aujourd’hui. Ainsi nous acquérons des connaissances spécifiques de l’ici et comprenons les grands mouvements de l’ailleurs. Pas d’enfermement sur sa grotte ; pas de dilution dans des réalités exogènes. Il en est de même d’ailleurs en histoire environnementale, si méconnue.
La vraie révolution à mener est donc celle des consciences. Elle est celle de la revalorisation des savoirs quand nous assistons à la glorification de l’inculture pour mieux manipuler les masses. Elle est celle de l’éducation à tout âge, de la découverte, de la curiosité, des remises en question. Elle bâtit des êtres singuliers-pluriels au sein d’un environnement évolutif dont ils sont en partie responsables.
La Résistance des savoirs demeure ainsi la base de choix éclairés. Faire du lien par des valeurs de base communes, accepter les différences dans une solidarité partagée.
Oui, nous ne le répèterons jamais assez, apprendre à voir c’est apprendre à vivre.
Laurent Gervereau