Grille d'analyse des images et références
« Les images ont accompagné toutes les grandes mutations politiques du XXe siècle. Informatives ou propagandistes, elles ont animé les débats et enrichi la vie démocratique ; elles ont aussi nourri les passions et porté les idéologies ; elles ont puissamment alimenté les représentations collectives ». Dans son ouvrage titré Images et politiques, Christian Delporte rappelle la fécondité des sources iconographiques pour l’historien du contemporain. Depuis les travaux fondateurs de Michel Vovelle, Marc Ferro, Pierre Sorlin ou Maurice Agulhon, plusieurs historiens ont montré dans les années 1990 l’intérêt des corpus intégrant des sources iconographiques afin d’approcher les structures profondes des sociétés.
Ce n’est pas le moindre des mérites de Laurent Gervereau que de nous proposer dès 1994 une grille de lecture pluridisciplinaire souple, malléable et adaptable des documents iconographiques. Invitation à une exploration minutieuse et rigoureuse des images, celle-ci se présente comme un itinéraire n’excluant, a priori, ni les chemins de traverses, ni les raccourcis si tant est qu’ils soient justifiés. Ainsi, dans la conclusion de cet ouvrage pionnier que fut Voir, comprendre, analyser les images, l’auteur explique la démarche qui l’a conduit à proposer un tel outil qui « se veut (…) principalement une aide, un bâton de route (…) ». Et l’auteur d’ajouter : « Cette grille est une invite à la curiosité. Elle poussera l’étudiant, l’amateur, le chercheur, à ne pas se satisfaire des sentiments premiers, en lui faisant comprendre, qu’il peut grandement les enrichir par des enquêtes minutieuses dans différentes directions ».
Puissante du fait des emprunts faits aux méthodologies de différentes disciplines (histoire, sémiologie, histoire de l’art), opérante sur les multiples formes que prennent les documents iconographiques (tableaux, photos, affiches, vidéos, cartes, plans…), cette grille, proposée il y a plus de 15 ans, nous paraît être d’une folle actualité face à la profusion d’images de nature diverse qui circulent de manière plus ou moins éphémère sur les écrans de nos télévisions, de nos ordinateurs ou de nos tablettes. Elle garde toute sa pertinence pour aider le grand public, le jeune élève voire le chercheur à approcher un objet, retors et trompeur, en ce qu’il semble se livrer d’emblée tout entier à celui qui le regarde.
Nombreuses sont en effet les difficultés que doit affronter celui qui a l’ambition d’analyser les documents iconographiques : polysémie des images, multiplicité des supports, influence du contexte, diversité des modalités de diffusion et de la réception…, autant de pièges qui poussent Laurent Gervereau à un appel à la prudence : « parce qu’ (…) elle provoque directement adhésion, répulsion, passion ou consommation indifférente, [l’image] réclame une vigilance accrue », une rigueur nécessaire qui n’exclut cependant pas le contact direct, la relation spécifique qui s’établit entre la représentation et l’individu.
> La grille d’analyse (voir les développements dans le livre à La Découverte)
La description
Quel que soit la nature du support, une première étape – nécessaire – repose sur la description méticuleuse de l’image. Cette description doit d’abord mener à approcher l’image dans sa matérialité (1re phase). Bien loin d’être anecdotiques, les caractéristiques techniques comme le format, la localisation, la technique de représentation ou la nature du support, constituent de précieux indices susceptibles d’ouvrir la voie à une meilleure compréhension du document. Fortement influencée par la démarche des historiens d’art, cette étape conduit également le curieux, comme le professionnel de la recherche, à questionner le style de l’œuvre (composition, couleurs, jeux de lumières et de contrastes, mise en scène éventuelle…). Cette analyse du style peut s’effectuer de manière conjointe avec une description attentive du thème et des modalités de sa représentation qui s’appuie également sur le détail des plans, sur les formes produites, sur les relations qu’elles entretiennent au sein de l’espace iconique ainsi que sur les rapports entre textes et images. Autant d’invitations à une interprétation de l’œuvre - ou de la production – qui ne saurait cependant être délivrée sans une mise en contexte préalable de l’image analysée.
La mise en contexte
Si les chercheurs des différentes disciplines prennent désormais le temps de cette contextualisation, nous entrons ici sur les terres de recherche des historiens (2e phase). Il s’avère d’abord indispensable d’effectuer une contextualisation en amont de la production de l’œuvre afin de déterminer le contexte technique dans lequel est née l’icône, l’histoire individuelle, la psychologie et le rôle de l’auteur ou plus largement les liens entre l’image, son commanditaire et le contexte de la société dans lequel vit l’auteur. Mais ce contexte en amont ne saurait suffire : tout aussi fondamentale est la prise en compte de la diffusion de l’image (à l’époque de sa production ou a posteriori), des conditions de sa réception/appropriation ou de son impact : témoignages, enquêtes sociologiques, textes et commentaires constitueront ainsi de précieux indices de ce contexte en aval de l’œuvre.
L’interprétation
Une fois la contextualisation établie avec précision, le chercheur comme l’étudiant disposent de tous les éléments nécessaires à la construction d’une interprétation (3e phase). Cette interprétation doit d’abord mettre en valeur le sens initial de l’œuvre donné par le titre, la légende, le commentaire du producteur ou ceux d’analystes contemporains de la première diffusion de l’image. L’interprétation initiale gagne ensuite à être mise en perspective grâce à d’éventuelles interprétations postérieures au moment de diffusion. La confrontation des éléments de description, de contexte et des interprétations initiales et postérieures autorise désormais l’analyste à livrer sa propre interprétation et à laisser s’exprimer sa subjectivité sous la forme d’un bilan général : en partant du jugement du producteur ou des contemporains, la mise en valeur de la portée et de la postérité de l’image constitue l’aboutissement logique de la collecte d’indices effectuée lors des trois phases. L’analyste aura le loisir d’aller plus loin dans la conclusion proposée en interrogeant la manière dont l’œuvre peut être vue aujourd’hui, voire en livrant une appréciation subjective correspondant à ses goûts personnels.
Utilisations pédagogiques
Dans une perspective éducative il semble nécessaire de familiariser les jeunes élèves, les collégiens et les lycéens à cette grille d’analyse des images. Déjà partiellement opérante, le renforcement de cette familiarisation peut revêtir des formes diverses.
Les commentaires écrits ou oraux d’images doivent rester des moments importants de la formation des élèves du primaire au lycée. L’image est ici approchée seule lors d’un cours d’histoire, d’histoire de l’art, d’art plastique ou de langue. Quel que soit la formation de l’enseignant, le commentaire se doit de respecter un temps de présentation/contextualisation, puis un moment de description pour enfin parvenir à livrer une interprétation. Il serait bon qu’en début d’année ces commentaires soient effectués par la classe en suivant les consignes de l’enseignant. Puis, ces commentaires pourront faire l’objet de travaux de recherche en autonomie avec un conducteur amenant les élèves à réinvestir la grille présentée en début d’année. Enfin, des temps d’exploitation commune de la même image par des enseignants de différentes disciplines auraient l’avantage de mettre en valeur la complémentarité des approches de l’historien, de l’historien d’art ou du professeur de lettres.
Plus essentiel encore est à nos yeux le recours à cette grille d’analyse lorsque le document n’est utilisé par l’enseignant que comme un support permettant de faire avancer le cours. Dans ces moments là, par contrainte de temps, la rigueur tend parfois à se relâcher : le cours s’oriente alors directement vers l’interprétation souhaitée sans que l’image ait été préalablement décrite ou contextualisée. S’il est bien évident que la grille d’analyse ne saurait être mobilisée à chaque fois de manière exhaustive, il est pourtant aisé d’approcher systématiquement les documents iconographiques à travers trois questions simples abordant successivement la présentation du document et le contexte, une description - même succincte - pour finalement en arriver à l’interprétation. La réitération de cette démarche, l’insistance de l’enseignant sur la nécessité de contextualiser et de décrire avant d’interpréter ainsi que la plus grande aisance que parviennent à acquérir les élèves dans l’interprétation des images permet d’obtenir des regards plus lucides et plus autonomes surtout si, dans leur enseignement, les professeurs des différentes disciplines fournissent des éléments sur l’histoire du visuel, sur les différentes fonctions des images ou sur les spécificités de l’analyse en fonction de la nature des supports iconographiques.
Ces quelques pistes d’utilisation pédagogique de la grille d’analyse sont fécondes pour l’ensemble des niveaux. Les nombreuses analyses déjà publiées sur le site - et celles qui s’annoncent – permettront au lecteur, à l’enseignant et à l’élève de trouver des exemples d’exploitation pour chacun de ces niveaux. Plusieurs modules sont aussi d’ores et déjà disponibles pour expliquer les spécificités des approches en fonction de la nature des images.
Recommandations pour proposer une analyse d’images à notre site
[Decryptimages] propose des exemples d’analyse d’images qui réinvestissent, selon des modalités diverses, les étapes de cette grille afin d’en révéler toute la puissance. Historiens, historiens d’art, sémiologues, montrent comment les divers questionnements de leurs disciplines, peuvent profiter des apports méthodologiques des autres disciplines.
Ouverte aux contributions spontanées et aux collaborations ponctuelles, la rédaction de [Decryptimages] accorde une grande marge de manœuvre aux potentiels contributeurs. Ils pourront proposer des analyses d’images à valeur historique/esthétique/sociologique, des analyses d’images d’actualité ou des brèves portant sur tous types d'opérations autour des images (livres, colloques, revues…). Outre l’apport de la proposition à la compréhension du rôle des images et à l’enrichissement d’une histoire du visuel, la rédaction sera sensible à ce que celle-ci respecte la structure en trois parties décrivant l'objet analysé (QUOI ?), dressant le contexte interne et externe de sa production (COMMENT ?) puis livrant une interprétation de l'image (NOTRE ANALYSE). Les contributeurs devront aussi veiller à ce que les images analysées soient libres de droits.
Ne vous censurez pas, tous les formats sont possibles et tous les tons ! Et soyez créatives et créatifs !
Pas de "lecture" d'images, des décryptages
Nous parlons de "décrypter les images" pour dire que nous cherchons des éléments de sens dont certains sont codés mais pas de "lecture des images", formule inventée par les sémiologues des années 1970, qui supposerait que les images puissent être entièrement résumées à des symboles signifiants comme un alphabet. Si cela peut avoir du sens pour une signalétique ou certaines publicités, la moindre œuvre d'art excède son simple résumé symbolique.
Pourquoi insister sur l'histoire du visuel ?
Nous insistons sur l'histoire du visuel parce que --en plus de donner des repères généraux aussi indispensables que ceux de l'histoire et de la géographie--, cela contraint à enquêter sur le contexte de création des images (pour éviter les contresens) et aussi à les replacer par rapport à ce qui a été réalisé antérieurement dans des conditions équivalentes ou proches (se méfier en effet de l'association entre des vues --comme celles de mains, par exemple-- réalisées sur des continents différents et des civilisations très diverses).
Médias de base, médias intermédiaires, médias-relais
Pour la période actuelle, à l'ère d'Internet, nous avons basculé de la société du spectacle (expression de Guy Debord) aux sociétés des spectateurs-acteurs. Cela signifie que nous disposons de deux types de médias. Les médias de base, majoritaires, qui créent les conditions d'une démocratie de l'information (avec l'inconvénient du fait que l'abondance tue le choix et que les manipulations sont faciles même si les internautes pratiquent l'autorégulation et l'autosurveillance). Ils sont le fait d'individus ou de petits groupes, ont un fonctionnement latéral en réseaux mais manquent fréquemment de relais. Les médias intermédiaires (journaux, télévisions, magazines, agences d'information, radios, sites internet à grands flux...), minoritaires, sont la deuxième catégorie. Ils relèvent du modèle pyramidal en place depuis les Néolithiques. Ils trient, sélectionnent, répètent souvent les mêmes nouvelles qui sont très sélectives, enquêtent et donnent des repères et des références pour les plus intéressants. Ils sont aussi sujets aux emballements par une hyperfocalisation commerciale sur les mêmes faits et les mêmes interprétations de ces faits. En conséquence, le développement de médias-relais apparaît comme absolument nécessaire pour valoriser les médias de base en liant les réseaux (portails) et ainsi inciter les médias intermédiaires à diversifier leurs sources.
Aujourd'hui, tout le monde décrypte
Alors que le mot "décryptage" appliqué aux images semblait étrange quand nous l'avons lancé, aujourd'hui tout le monde décrypte (parfois jusqu'à la paranoïa et au complotisme). Beaucoup essaient de "débunker" dans la guerre mondiale médiatique. Au temps des IA (Intelligences Artificielles), le vrai et le faux se mêlent et les luttes d'influence sont incessantes. Décrypter ou débunker se révèlent donc absolument nécessaires, comme il est nécessaire de défendre la diversité des points de vue grâce à un label PLURI pour les médias qui se veulent lieux d'échanges offrant des éléments de compréhension contradictoires des situations.
L'éducation à l'histoire du visuel devient un savoir critique fondamental pour disposer de repères à tout âge dans la confusion visuelle du déversement exponentiel des images de tous types et de toutes époques. Partout sur la planète, une vision EDUCRITIC doit rassembler les institutions qui cherchent à offrir des connaissances basées sur les démarches critiques, expérimentales, évolutives des sciences. C'est ainsi que nous pourrons, de façon locale-globale, disposer d'une "boussole éducative" permettant à chacune et chacun de se situer dans le temps et l'espace et de communiquer. De créer aussi.
[Decryptimages] se veut dans ce contexte un média-relai, grâce à la communauté du réseau decryptimages et en donnant des outils. Aux internautes de nourrir ce site pour garantir sa richesse et sa diversité. Aux médias intermédiaires de se servir des ressources mises en avant.
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