Editos
Le médiaterrorisme
Où est le réel ? Pour beaucoup d’humains aujourd’hui la virtualisation fait que leur vision indirecte (à distance) est plus importante que leur vision directe (ce qu’il y a autour d’eux). Les conséquences en sont à la fois une difficulté à identifier des faits et même à les connaître, de nouveaux moyens massifs pour capter l’attention internationale à travers un médiaterrorisme et des questions graves concernant la structuration des vecteurs d’information au temps de la guerre mondiale médiatique.
Les déséquilibres de l’information
Sommes-nous satisfaites et satisfaits de nos reflets ? Non à l’évidence. Au temps jadis et encore dans certaines régions de la planète, un fonctionnement amédiatique plaçait tout dans la vision directe. Cela ne veut pas dire que ces sociétés étaient ou sont égalitaires et que l’apparence n’est pas primordiale. Mais le grand basculement s’est opéré en plusieurs phases avec la multiplication industrielle des images à partir du milieu du XIXe siècle (l’ère du papier, puis de la projection avec le cinéma puis de l’écran avec la télévision). Aujourd’hui, nous vivons le temps du cumul où les sociétés du spectacle (selon l’expression de Guy Debord au temps de la télévision) sont devenues des sociétés des spectateurs-acteurs avec une vision indirecte primant sur la vision directe. Qui ne se montre pas sur écran, INEXISTE.
Tous les déséquilibres sont ainsi à l’œuvre car les médias traditionnels (journaux, radios, télévisions) ne peuvent rendre compte des milliards d’émissions individuelles sur les réseaux sociaux et les réseaux sociaux sont soumis à toutes les pressions médiatiques des propagandes et des publicités avec une invisibilité de milliards de personnes hors le cercle de quelques « ami(e)s ». C’est l’effet entonnoir : milliards d’infos et guerres d’influence pour faire partie des quelques infos qui tournent en boucle (avant leur remplacement) dans le news market.
L’instrumentalisation des médias, entre terrorisme médiatique et médiaterrorisme
Les effets pervers de ce news market ont été intégrés et utilisés. Désormais « faire » n’a aucune importance, ce qui compte est de faire savoir, donc de construire son accroche médiatique. La guerre mondiale médiatique --qui n’est pas juste une guerre informationnelle-- est une guerre de propagandes et une guerre commerciale.
Ce déséquilibre provoque ce que j’ai appelé un médiaterrorisme, une façon de terroriser les médias pour des réactions-réflexes. Il s’opère de façon dramatique quand les terroristes construisent des récits successifs en scénarisant l’échelonnement des événements comme pour le World Trade Center ou le Bataclan en France.
Mais Donald Trump inaugure une nouvelle forme de médiaterrorisme, un terrorisme médiatique par saturation. Ayant compris que tout acte provoque un champ critique, il pratique l’annonce quotidienne qui noie l’attention et prend les médias à la gorge, déboussolés entre injonctions péremptoires et contradictoires.
Cela n’enlève pas pour autant l’importance des techniques traditionnelles boostées aux nouveaux médias du business (avec influenceuses ou influenceurs), des groupes de pression religieux ou non, des propagandes étatiques (censures internes en Chine ou en Russie ou ailleurs et techniques pour diffuser fake news et rumeurs).
Comment faire ?
Comment agir dans la guerre mondiale médiatique ?
Il n’existe pas de vérité des faits par principe dans la mesure où --les situations de guerre nous le montrent-- l’interprétation d’un même fait transforme son sens. Donc, on ne peut ériger des lieux du Vrai. En revanche, il est temps d’affirmer que, dans la relativité des goûts et des croyances, le seul langage commun des humains est la démarche critique et expérimentale des sciences. Voilà pourquoi, plus que jamais, alors que se jouent les conditions de vie sur « T », TERRA, notre planète unique, fédérer nos connaissances comme l’a fait le GIEC dans des instances collaboratives est devenu essentiel.
Cela concerne les médias qui veulent s’engager dans des démarches fédérées plurielles. Cela concerne les établissements éducatifs travaillant du local au global pour se situer dans le temps et dans nos espaces. Cela concerne nos décisions ici et partout, car personne n’échappe plus désormais aux dérèglements climatiques, aux pollutions et aux guerres matérielles, commerciales, médiatiques.
Certaines et certains choisissent DEVIRT, la dévirtualisation dans une déconnexion totale et une recherche d’autarcie matérielle. Mais l’environnement planétaire est une cause globale à laquelle personne n’échappe et n’échappera. Donc réfléchir à nos moyens d’information entre philosophie de la relativité des comportements dans un pacte commun et impératifs de solidarités humaines est essentiel.
C’est le moment de refuser ce médiaterrorisme pour affirmer d’autres valeurs transfrontalières, de se donner des buts, d’accepter les informations évolutives des sciences et partout (localement, nationalement, planétairement) de se mettre en face d’un tri rétrofuturo évolutif indispensable : ce qu’on refuse, ce qu’on conserve, ce qu’on rétablit et là où on veut innover. Singulièrement l’IA (Intelligence Artificielle) est un objet concret d’application de ce tri, entre mouvements de déconnexion (DEVIRT dont j’ai parlé), emballements coûteux énergétiquement et en conséquences liberticides (KONTROL) et tentatives pour opérer des choix argumentés évolutifs.
Je le répète depuis des années : loin du seul niveau national, il faut faire tout cela de façon stratifiée en réhabilitant le pouvoir de décision local et en structurant la concertation planétaire (à rebours des retardeurs criminels actuels). Mais comment faire passer une idée aussi simple, opérationnelle, cohérente quand le brouhaha médiatique pousse vers le chaos (KAOS), l’émiettement, les sauvetages égoïstes dans la panique et les conflits ?
A cet égard, arrêtons d’employer le terme d’« élite », dévoyé quand il ne s’agit pas de mettre en avant des personnes savantes et courageuses, soucieuses de la qualité de notre environnement et de nos modes de vie, à toutes les strates des sociétés mais juste de constater la puissance politique ou commerciale.
Regardons l’essentiel avec des buts clairs. Pour ce faire, il est urgent d’avoir une information stratifiée du local au global et les grands médias actuels (traditionnels ou non) devraient s’y atteler avec des plateformes locales, régionales, nationales, continentales et terrestres. Ils y gagneraient en assise et en légitimité comme médias-relais.
Oui, face au médiaterrorisme et à l’instrumentalisation de la confusion généralisée, la défense d’actions humaines raisonnées et concertées est notre seul rempart politique, commercial, médiatique pour défendre le vivant sur « T », TERRA, notre Terre unique, ici et là-bas.
Laurent Gervereau
Directeur de decryptimages.net et président de Nuage Vert (nuage-vert.com)
