Spectres et fantômes

Spectres et fantômes par Nathan RERA (Docteur en Histoire de l'art contemporain, Université d'Aix-Marseille)

Le dernier ouvrage de Sylvie Lindeperg, La voie des images (Éditions Verdier, 2013), somme historique et érudite de tout premier plan, ouvre une brèche nécessaire dans le rapport aux images d’archives en questionnant leurs usages contemporains, en cette époque où la télévision et le cinéma se sont octroyé la mission de compenser l’absence d’images de la destruction des Juifs d’Europe. Évoquant sans détour et d’un œil critique ce qu’elle nomme l’esthétique du « trop-plein » et de « l’hypervisibilité », typique des productions audiovisuelles les plus récentes, l’historienne n’a pas craint de s’exposer « aux brûlures de l’actualité ». Apocalypse (2009), la série historique grand public de Daniel Costelle et d’Isabelle Clarke, est ainsi soumise à une interrogation franche pour l’emploi qu’elle fait des images d’archives, recadrées, retaillées et colorisées, et pour sa volonté de « transformer l’absence en défaut » – problèmes qui se posent également pour les fictions genre La Rafle (2010), de Rose Bosh. L’auteure dissèque de surcroît la nature du discours médiatique ayant entouré ces productions diverses, marqué du sceau de l’émotion et de la « bien-pensance », caractérisé par un rejet de toute critique argumentée par le simple et redoutable argument de la « nécessité mémorielle » ou du « devoir de mémoire ».

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Annales du cinéma français (1895-1929) chez Nouveau monde

Les voies du muet

Pierre Lherminier vient de faire œuvre utile. Avec ses Annales du cinéma français (1895-1929) chez Nouveau monde, il décortique la production année après année dans un énorme dictionnaire. Ces années, de plus, sont capitales. Pas un passionné de cinéma, pas une étudiante ou un étudiant, ne devrait ignorer cet extraordinaire laboratoire que fut le cinéma muet, basculant vers un extraordinaire succès commercial dans les années 1920. Le fait de se centrer sur la production française a du sens alors, car Pathé et Gaumont dominent largement la production mondiale avant 1914. Ce n'est plus la même chose durant le conflit et après : voilà la fragilité de l'ouvrage. Indiscutable et central avant 1914, il présente un des aspects du problème ensuite face aux cinématographies des États-Unis en premier lieu, allemandes, soviétiques, suédoises... Cet ouvrage reste pour autant une œuvre importante sur la période fondatrice du cinéma, dont tout découle. A ne pas manquer.

La guerre des images: de Christophe Colomb à Blade Runner

      GRUZINSKI Serge, La Guerre des images: de Christophe Colomb à Blade Runner, 1492-2019, Fayard, Paris, 1989

 

 

Peut-on comprendre la guerre des images qui secoue notre temps sans chercher à en explorer les manifestations passées? Peut-on mesurer l'importance de l'image aujourd'hui si l'on oublie le rôle décisif qu'elle a joué dans l'expansion planétaire de la culture occidentale? Une piste s'ouvre, qui mène de Christophe Colomb à " Blade Runner ", de 1492 à 2019. Elle traverse l'Amérique hispanique des côtes de Cuba à Los Angeles, après avoir sillonné le Mexique colonial et moderne. Au fil des siècles, l'image venue d'Europe servit à propager la culture occidentale, à coloniser les êtres et uniformiser les mondes vaincus. Par vagues successives et ininterrompues, les images ont déferlé sur le Nouveau Monde: de l'image médiévale à l'image renaissante, de l'image didactique à l'image miraculeuse, et jusqu'aux images électroniques.

Serge Gruzinski, directeur de recherche au CNRS, est notamment l'auteur de La Colonisation de l'imaginaire. Sociétés indigènes et occidentalisation dans le Mexique espagnol, XVIe-XVIIIe siècle.

L'art préhistorique dans le monde

      White Randall, Prehistoric Art. The Symbolic Journey of Human Kind, Harry N.Abrahams, New York, 2003

 

 

Si certains sites préhistoriques sont bien connus, comme les grottes ornées de Lascaux en France, il en existe beaucoup d'autres largement ignorés. Les hommes et les femmes de la préhistoire ont laissé de leur existence des traces infiniment plus nombreuses qu'on ne l'imagine notamment en Eurasie, Afrique, Australie, et dans tout le continent américain. Dans cet ouvrage, l'anthropologue Randall White étudie l'art préhistorique dans le monde entier, depuis l'éclosion de la figuration et de toute représentation symbolique il y a environ 40 000 ans et jusqu'aux créations des peuples préhistoriques qui vivaient encore au début du XXe siècle. Se fondant sur les plus récentes données de la recherche, il situe ces découvertes dans leur contexte et élucide certaines énigmes de la vie quotidienne chez nos lointains ancêtres.