decryptcult #09, l’édito de Laurent Gervereau
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Notre thème du mois : Fin du progrès, éloge du mouvement
Le “Progrès” est une notion singulière qui n’a pas cours dans nombre de civilisations, à commencer chez les chasseurs-cueilleurs animistes. Cela suppose en effet qu’aujourd’hui ou demain est supérieur à hier. Pourquoi en serait-il ainsi ? L’existence individuelle nous montre que les conditions d’un bien-être – matérielles et psychologiques – se révèlent assez subjectives, relatives et souvent fluctuantes. Ni la nostalgie irrationnelle d’un Âge d’or, ni la croyance dans un Paradis futur n’ont grande rationalité. De surcroît, ces croyances peuvent s’avérer dangereuses.
L’idée de “Progrès” triompha au XIXe siècle avec l’essor technologique dans une Europe colonisant la planète, lié à l’extension des connaissances par le développement des sciences. Il eut des conséquences catastrophiques au XXe siècle avec de grands rêves prométhéens politiques et scientistes. Combien de crimes ont-ils été commis au nom du Progrès ? Des crimes de sang pour éliminer les individus déviants comme des crimes environnementaux dans un productivisme sans limites et une accumulation financière effrénée.
Et nous ne sommes pas sortis de cette idéologie néfaste du Progrès quand on nous construit des sociétés du contrôle et de la norme, de grands hôpitaux planétaires.
Pourtant, aujourd’hui, peut-on considérer q’une secrétaire du BTP en banlieue parisienne est intrinsèquement plus épanouie qu’une femme yao dans la forêt laotienne ? Evidemment non, et c’est souvent l’inverse. La technologie et les biens matériels ont changé les conditions de vie mais ont apporté des écueils graves dans leurs bagages : consumérisme addictif, perte de tout repère, hygiénisme incitant à durer pour durer sans se poser la question de son épanouissement personnel et de son utilité sociale. Il y a donc une crise grave de la notion de progrès, quand chacune ou chacun a le droit imprescriptible de choisir sa vision du monde et son mode de vie.
L’idée scientiste de progrès suppose en effet que demain est supérieur à hier et qu’il existe une seule voie "objective" d’amélioration. Cela a conduit --nous l’avons déjà évoqué-- aux échecs totalitaires du XXe siècle, voulant arrêter l’histoire dans des sociétés parfaites. Cela a conduit aussi à une sorte d’écologie intégrale niant l’évolution. Cela débouche aujourd’hui sur une mise en question de notre environnement commun et sur la destruction néocolonialiste de civilisations dans un consumérisme global addictif. De plus, la seule démarche scientifique est une démarche expérimentale, critique, évolutive. La seule façon scientifique de regarder le monde consiste à comprendre la relativité, la non-objectivité mais la nécessité de confronter les points de vue.
Alors, si nous refusons ce “Progrès”, surgit un nouveau danger qui émerge aujourd’hui partout : le conservatisme. Il consiste à se rassurer en se bloquant sur des schémas hérités du passé comme un moindre mal ou un idéal à posteriori. Un idéal qui vit de mythes illusoires, terreau des intégrismes xénophobes.
Voilà donc le stade où nous devons comprendre notre situation résolument évolutive, en mouvement, expérimentale. Nous vivons dans le rétrofuturo, avec des traditions que nous choisissons et défendons et dans l’innovation collective et individuelle. Nous vivons dans un système d’interactions locales et globales. Face au Progrès, idéologie liberticide, imposons la volonté du mouvement, de la métamorphose perpétuelle, des expérimentations locales diversifiées, des corrections. Une philosophie de la relativité, de la tolérance et de la solidarité globale nécessaire.
Ainsi nous arrêterons probablement cette ère morbide du postmodernisme, tenu par une génération perpétuée de penseurs de l’échec et de la mémoire nostalgique, du rétro, de l’incapacité à penser l’avenir, du vol du futur pour la jeunesse dans une mystique de l’impuissance. Refonder la démocratie c’est en effet accepter la relativité et la tolérance, réévaluer les consultations locales et un fédéralisme à étages, choisir soi librement ici grâce à l’accumulation sans fin des repères et des connaissances, au sein d’un environnement général imposant des solidarités. Une démarche du mouvement, de l’évolution, de la diversité des points de vue, du doute scientifique, pas une idéologie du progrès ni un culte d’hier.
Laurent Gervereau, Mister Local-Global (www.gervereau.com)