Tim ou le pouvoir du dessin de presse
« Il m’arrive d’envier mon compagnon de L’Express. Il commente l’actualité ses œuvres restent. Nos éditoriaux ne résistent pas à l’usure du temps.
Cet éloge du dessinateur de presse TIM (Louis Mitelberg, 1919- 2002) par Raymond Aron est également un hommage rendu au pouvoir des images. L’idée qu’un dessin puisse rivaliser avec un éditorial ne va pas de soi. L’image dans la presse est souvent considérée comme un divertissement, un espace de repos pour l’œil et trop souvent comme une illustration du propos du rédacteur. Pourtant l’exemple de TIM, premier dessinateur de presse à intégrer le comité éditorial d’un journal français (L’Express en 1977), invite à reconsidérer la place du dessinateur dans un journal et la portée de ses créations. A travers une série d’articles autour de TIM, le site [Décryptimages] propose d’aborder la question du dessin de presse aussi bien du point de vue des mécanismes rhétoriques qu’il emploie que de la création artistique.
Dessin de TIM à la plume et à l'encre, années 1960, BnF Est B-1000 Fol .
Ces articles synthétisent les conclusions du mémoire de recherche de Stanislas Colodiet (sous la direction d’Emmanuel Pernoud), étudiant à Sciences Po Paris et en Histoire de l’art à Paris I. Ce travail s’appuie sur les fonds TIM entrés à la Bibliothèque nationale de France : environ 17 000 dessins, 250 carnets de recherche. La BNF joue un rôle essentiel dans la conservation et l’étude du dessin de presse ; elle conserve notamment des fonds importants des dessinateurs Daumier, Forain, Steilen et Sennep pour le dix-neuvième siècle et le début du siècle suivant, pour le vingtième siècle, les fonds Effel et TIM sont parmi les plus riches.
TIM- un dessinateur-éditorialiste
Dessin d’humour, caricature ou dessin de presse : de quoi parlons-nous ?
Trois termes génériques peuvent être employés pour désigner les dessins de TIM et pourtant ils ne sont pas synonymes ; il s’agit des notions de dessin de presse, de caricature et de dessin d’humour. Il existe un dénominateur commun à ces trois notions : elles s’opposent toutes au terme « d’illustration », ce sont des créations autonomes qui ne sont pas liées à un propos rédigé, ce sont des dessins qui pensent par eux-mêmes.
Le dessin d’humour est la catégorie la plus large des trois, c’est aussi celle dont les contours sont les plus mobiles. Michel Melot souligne la difficulté à en saisir les limites et choisit de placer au centre de la définition du dessin d’humour le concept de régression graphique[2]. Il s’interroge sur ce qui fait qu’un dessin de Van Dongen, publié dans l’Assiette au beurre et représentant une prostituée agonisante dans un asile est un dessin d’humour. La réponse réside dans le style : « Un dessin d’humour est donc devenu un dessin que la technique connote comme tel, mais si l’on en juge son contenu, l’humour au sens traditionnel peut en être absent »[3].
DAVID, Yasha, Tim, être de son temps : dessinateur, sculpteur,
journaliste (1919-2002), Paris, Musée d’art et d’histoire du judaïsme,
édition Erscher, 2003.
Laurent Baridon et Martial Guédron donnent la définition suivante de la caricature : un « dérivé du participe passé du verbe latin caricare, qui au propre comme au sens figuré signifie ‘charger’, donne le sens d’une exagération des défauts à des fins comiques ou satiriques. »[4]. La notion de caricature existe indépendamment de la presse, ce n’est pas forcément un dessin qui est reproduit.
"De Gaule's Triumph", Couverture du Magazine TIMEpar TIM, 7 décembre 1962
Le dessin se définit par le support de sa publication : la presse ; il est donc destiné a être reproduit par une technique industrielle et diffusé auprès d’un grand nombre de lecteurs. On peut aussi le définir par les contraintes auxquelles il s’adapte : celles du temps et de la représentation. Le dessinateur a des délais à respecter pour soumettre son dessin avant l’impression du journal. Il doit aussi se plier à l’impératif de la représentation : le dessin de presse cherche des solutions pour représenter une actualité de la manière la plus efficace ; il doit trouver un équilibre entre un dessin trop facile, évident, et quelque chose d’incompréhensible au public.
TIM, un homme d’action
TIM, (Louis Mitelberg, 1919- 2002) est un dessinateur engagé dont la vocation de dessinateur se révèle au cours de la seconde guerre mondiale. Le rappel de certains éléments biographiques est essentiel pour comprendre pourquoi il choisit de mettre son crayon au service des différentes causes qu’il défend.
Louis Mitelberg naît Lejzor Mitelberg dans une famille juive à Kaluszyn en Pologne, l’année 1919. Il grandit à Varsovie où il entre à l’école juive en 1924. Elevé dans l’amour de la France où son père avait travaillé dans sa jeunesse, il décide à son tour de s’y rendre en 1938. Il y poursuit une formation d’architecte aux Beaux-arts de Paris qu’il avait débutée l’année précédente à Varsovie. En 1939, à la suite de la déclaration de guerre et de la défaite de la Pologne, Mitelberg s’engage dans l’armée française. Après une année de captivité avec d’autres Français faits prisonniers par les Allemands, il rallie les Forces Françaises Libres à Londres. Il commence alors à dessiner pour la presse gaulliste et britannique, et témoigne de son expérience des camps de prisonniers. La découverte d’Honoré Daumier en 1943 est une révélation pour Louis Mitelberg, qui découvre alors un maître et un modèle d’engagement politique. À la fin de la guerre, Mitelberg confirme son choix d’être dessinateur de presse en France.
On distingue alors deux moments dans la carrière de TIM. Le premier est le temps de l’engagement politique, au Parti Communiste français et dans la presse, il collabore principalement aux journaux Action (1945- 1952) et L’Humanité (1952- 1958). L’année 1958 est une année charnière pour Mitelberg, il quitte le PCF et L’Humanité pour entrer à l’hebdomadaire L’Express où il travaille jusqu’en 1990. À partir de cette date, Mitelberg signe « TIM », l’anagramme des trois premières lettres de son nom. Ses derniers dessins sont publiés en 1998. Pendant cette seconde période il est également publié dans de nombreux titres de presse étrangers. En effet l’une des caractéristiques principales du dessin de TIM est qu’il a très peu recours à l’écrit dans ses compositions, choix relativement original pour un dessinateur de presse. Ainsi, il a été publié : en Pologne, en Grande-Bretagne, au Congo, au Maroc, en Algérie, en France, en Allemagne, au Danemark, en Tchécoslovaquie, aux Etats-Unis, en URSS, en Bulgarie, en Chine, en Autriche, en Italie, en Suisse, en Israël, au Japon, en Turquie, en Suède et en Australie.
Dessinateur de presse : artiste ou journaliste ?
« Il faut être à la fois De Gaulle et Picasso ; ce métier particulier doit correspondre à deux objets : l’actualité politique et l’actualité plastique »[5]. Cette phrase résume en quelques mots la manière dont TIM conçoit son travail. La position de TIM dans le paysage des dessinateurs de presse est originale dans la mesure où elle se situe à équidistance des deux professions qui sont à l’origine du métier de dessinateur de presse : l’artiste et le journaliste.
A partir des années de l’après-guerre, puis dans les années 1960, en France, les dessinateurs de presse sont nombreux à revendiquer un statut de journaliste à part entière. C’est l’époque où Cabu et Reiser font des « reportages-dessinés »[6]. Ce qui est original chez TIM, c’est que cette affirmation du journaliste ne se fait pas au détriment du dessinateur. Cette vision lui est inspirée par Daumier, son modèle. Cette double fonction reflète la manière dont TIM travaille, il la décrit dans une interview accordée à François Poux en 1988 :
« -F. P. Vous êtes de ceux qui défendez la vision du dessinateur journaliste.
– TIM : c’est mon métier et j’aimerais qu’il continue. Il était question à un moment que je prenne aux Beaux-Arts un atelier où j’aurais encouragé la caricature. J’aurais beaucoup fait dessiner, en leur mettant dans la tête, n’oubliez pas de lire les journaux et d’écouter la radio et essayez de traduire en dessin ce que ça vous inspire. Pour que petit à petit, il y ait une liaison entre la vie politique sociale qui se déroule autour d’eux et le métier de leurs mains. »[7].
Le projet de lui confier la direction d’un atelier aux Beaux-Arts témoigne de la reconnaissance des qualités graphiques de TIM. Il est aussi le premier dessinateur français à faire partie d’un comité éditorial[8]. Ses créations sont des éditoriaux dessinés et non plus de simples illustrations à l’appui d’un article rédigé. TIM contribue à réévaluer la place du dessinateur de presse dans le journalisme :
« F.P.- Et dans cet esprit, le dessin a retrouvé son rôle…
- TIM : Avant, il venait illustrer un article qui rapportait un événement. Dans un sens c’était plus facile, mais moins glorieux, il y avait, déjà un élément dans l’article. Un dessin tout seul doit par ses propres moyens rappeler au lecteur un événement qu’il connaît. Cela donne au dessin, au dessinateur, un rôle plus important, éminent même. »[9].
Pour approfondir autour du dessin de presse, dessin d’humour et dessin satirique
La prise en compte du dessin de presse et de la caricature par les historiens de l’art est un phénomène récent. Ce sont d’abord les historiens qui ont étudié les dessins de presse comme des documents originaux, auparavant considérés comme de simples illustrations de l’histoire[10]. Au XXe siècle, l’une des premières études qui ancre l’invention de la caricature dans l’histoire de l’art est le catalogue de Brauer et Rudolf Wittkower, Die Zeichnungen de Gianlorenzo Bernini (1931), qui attribue l’invention du procédé aux Carrache, thèse reprise par Denis Mahon dans Studies in Seicento Art and theory, (1947)[11]. E. H. Gombrich est l’un des premier à établir un lien entre la caricature et les avant-garde du vingtième siècle, en 1960, il écrit : « Ce n’est pas faire montre d’irrespect à l’égard des maîtres du XXe siècle que de rattacher ainsi leur réalisations aux effets d’une libération de l’étude de la nature, libération qui s’était tout d’abord étroitement limitée au domaine humoristique. »[12]. En France, en 1971, l’exposition organisée par Jean Adhémar et Michel Melot, conservateurs à la Bibliothèque nationale de France au cabinet des estampes et de la photographie, associe au terme « dessin d’humour » des œuvres des grands maîtres de l’histoire de l’art comme Bosch ou Breughel, des réalisations des grands artistes du vingtième siècle comme Picasso, Miró ou Klee et enfin des dessinateurs de presse du dix-neuvième siècle mais aussi contemporains, dont TIM[13].
Aujourd’hui, en France, la recherche en histoire de l’art consacrée au dessin de presse est active. Deux catalogues de référence consacrés à la question ont été publiés : l’ouvrage de Laurent Baridon et Martial Guédron, L'art et l'histoire de la caricature (2006), organisé de manière chronologique et le catalogue de Bertrand Tillier, A la Charge ! La caricature en France de 1789 à 2000 (2005), organisé de manière thématique. Parallèlement, plusieurs sites internet et revues spécialisés autour des notions de dessin de presse, de dessin satirique et de caricature se sont développés. L’Equipe Interdisciplinaire de Recherche sur l’Image Satirique (EIRIS) fondée en 1992 et rattachée à l’Université de Bretagne occidentale se réunit quatre fois par an au Cabinet des Estampes et édite chaque année la revue de recherche Ridiculosa. Le groupe a publié en 2008 une Bibliographie française de l’image satirique qui référence 2 110 titres. L’EIRIS anime enfin un site internet. L’autre source internet précieuse pour l’étude du dessin de presse est le site « Caricatures et caricature » fondé en 2007 par Guillaume Doizy. Ce mémoire s’inscrit dans le cadre de l’étude relativement nouvelle du dessin de presse par les historiens de l’art. Enfin, depuis 2010, la Bibliothèque Nationale de France organise une biennale du dessin de presse organisée par Martine Mauvieux, conservateur au département des estampes et de la photographie, dont la troisième édition aura lieu en 2014.
http://www.caricaturesetcaricature.com/
Stanislas Colodiet (Science-Po Paris / Sorbonne Paris I)
[1] ARON, Raymond, Epoque épique 1970-1981, Paris, Albin Michel, 1981
[2] MELOT, Michel, L’œil qui rit : le pouvoir comique des images, Paris, Bibliothèque des arts, 1975, p. 153
[3]Ibid.
[4] BARIDON, Laurent et GUEDRON, Martial, L'art et l'histoire de la caricature, Paris, Citadelles & Mazenod, 2006, p. 6
[5] TIM et C. GLAYMAN, L’Autocaricature, op.cit, p. 223
[6] TILLIER, Bertrand, A la Charge ! La caricature en France de 1789 à 2000, Paris, Les Editions de l’amateur, 2005, p. 58 -59
[7] F. Poux et TIM, « TIM Honoré », dossier consacré à TIM et interview avec François Poux, Dans Un bon vieux dessin vaut mieux qu’un long discours. Revue du dessin presse d’actualité, bulletin n°6, juillet 1988, p. 18
[8] DELIGNE, Alain, « TIM », dans De Gaulle à Mitterrand- 30 ans de dessin d’actualité en France, Paris, collection des publication de la BDIC, 1989, p. 196
[9] F. Poux et TIM, « Interview », art. cité, p. 18
[10] TILLIER, Bertrand, "Du caricatural dans l’art du XXe", Dans Perspective. La revue de l’INHA, 2009-4,p. 539
[11] M. MELOT, L’œil qui rit : le pouvoir comique des images, op.cit., p. 10
[12] GOMBRICH, Ernst H., « L’expérimentation dans le domaine de la caricature », Dans L’art et l’illusion : psychologie de la représentation picturale, (New York, 1960), Paris, 2002 pour la 6e édition française, p. 301
[13] ADHEMAR, Jean (Dir) et MELOT, Michel, Le dessin d’humour : du XVe siècle à nos jours, Paris, Bibliothèque nationale, 1971