11 avril 2012
Les Inrockuptibles (n°853-avril 2012).
Légende : « C'est au premier tour que nous devons créer les conditions de la victoire ! ». Calais, le 27 mars.
par François Robinet, professeur agrégé d'histoire, doctorant à l'Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines
Description
Cette photographie publiée dans la rubrique « Tout nu » de l'hebdomadaire Les Inrockuptibles (n°853-avril 2012) présente le plan large d'une cinquantaine de personnes disposées en arc-de-cercle. L'ensemble des corps, des regards et des objectifs sont tournées vers l'un des candidats à l'élection présidentielle qui de dos se révèle être difficilement identifiable. Il s'agit pourtant de François Hollande, un des favoris de l'élection, qui prononce derrière un pupitre - manifestement posé à la hâte dans un espace qui ressemble à une cour ou à un parking - une déclaration consacrée ce jour là aux questions maritimes. A l'arrière-plan, une vingtaine de photographes profitent d'un point de vue situé un peu plus en hauteur pour capter la scène.
Contexte
Un mois environ avant le premier tour (et quelques jours après l'affaire Merah sur laquelle F. Hollande sera d'ailleurs interrogé ce jour là), les dix candidats à l'élection présidentielle multiplient les déplacements, les opérations de communication et les interviews devant les médias. Photographes et cameramen sont embarqués dans la caravane des accrédités qui accompagne chaque jour les compétiteurs dans leur dernière ligne droite. Etroitement encadrés, ils livrent des clichés souvent très convenus : plan (en général lointains) des candidats à la tribune lors de meetings en salle ou en plein air, plans moyens ou rapprochés de candidats en train de serrer des mains ou de donner l'accolade, photographies prises en plateau notamment lors des émissions politiques ou de talk show ou encore plans autorisés de certains des candidats (notamment les deux favoris des sondages) avec leur compagnes. Un dernier type de plan (voir ci-dessous) correspond à ceux qui devaient être obtenus lors de cette prise de parole à l'occasion d'un déplacement dans le Pas-de-Calais : des plans de déclarations en plein air avec ici un candidat sobre, concentré et pédagogue sur fond de ciel bleu et d'horizon maritime - décor qui correspond au thème du jour mais dans lequel il faut peut être voir aussi une tentative de détournement de l'affiche de son principal rival Nicolas Sarkozy.
© Denis Charlet |
REUTERS/Benoît Tessier |
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Notre avis
Publiée dans Les Inrockuptibles, l'image pourrait paraître atypique d'autant que ce type de plan n'était pas très courant lors des campagnes précédentes (même si l'on garde par exemple en mémoire quelques clichés de l'envers du décor d'une sortie de Nicolas Sarkozy en Camargue en 2007). Pourtant, cette photographie nous semble emblématique d'une forme de plan qui tend à revenir désormais de manière fréquente dans la presse et dans les images de télévision. En effet, face aux tentatives très étroites de contrôle de la fabrique de l'image par les équipes de communicants, nombreux sont désormais les photographes et cameramen qui préfèrent montrer l'envers du décor plutôt que de se contenter de produire la photographie attendue et souhaitée. C'est donc « la meute » des journalistes, les bousculades, les perches de micros et les caméras qui sont livrées au regard du public. Images symboliques d'une campagne organisée comme un spectacle lors de laquelle les équipes de candidats tentent de limiter au maximum les risques de prises de vue désavantageuses. Images qui correspondent aussi à une tendance lancée par des émissions comme Le petit journal qui ont bâti leur succès sur la mise en évidence des stratégies de communication des partis politiques (éléments de langage, contrôle de l'image...). Images qui tendent enfin déjà à devenir des classiques de cette campagne 2012 et dont les chercheurs devront questionner à terme les effets potentiels sur l'image des candidats et des responsables politiques en général.
Un autre exemple récent :
Photo Sébastien Calvet, Libération, 9 avril 2012, p 10-11