Turner et le Lorrain
- Par l'équipe imagesmag

QUOI
La composition
La composition s’organise en quatre triangles dont les pointes se rejoindraient au centre du tableau entre le soleil et l’horizon. Deux triangles latéraux ont pour origine les angles supérieurs du tableau, l’un au niveau de la pointe du mât du bateau de gauche, l’autre au niveau du toit d’un édifice à droite. Ils se terminent l’un et l’autre en bas du tableau sur les rives opposées (angles opposés). Ceci forme une immense croix de laquelle se dégage deux triangles sombres d’égales dimensions et deux triangles de lumière l’un immense dans le ciel et l’autre plus réduit au niveau de l’eau.
Turner dispose donc de part et d’autre d’un puits de lumière, presque circulaire dans le ciel, une perspective architecturale agrémentée de proues de bateaux dirigées vers le centre. Tous les éléments du tableau convergent vers la lumière et s’y fondent.
La touche est fluide comme impressionniste, rendant les masses architecturales lumineuses et légères, presque transparentes.
L’histoire
Ce tableau est une évocation du malheur de Regulus, à qui on arrachera les paupières pour le punir de n’avoir pas obtenu la libération des prisonniers carthaginois. Sa minuscule figure blanche apparaît au milieu de la foule qui occupe la terrasse à droite, d’où il est conduit vers le bateau qui le mènera honteux à Carthage.
Ce tableau nous montre donc l’instant qui précéde l’événement crucial de l’histoire, dans la période de honte avant le châtiment.
Pourtant, de l’histoire rien ne transparaît véritablement. Seule la lumière innonde la composition et baigne les personnages et les facades architecturales.
COMMENT
Contexte
Turner (1775-1851) présente ce tableau à l’occasion d’une exposition improvisée lors de son séjour à Rome en 1828. Le public italien aurait facilement reconnu dans cette composition une adaptation du célèbre Port de mer avec la villa Médicis du Lorrain qui se trouve aux Offices à Florence. Cette fascination de Turner pour la peinture du Lorrain semble être née très tôt. Claude Gellée dit le Lorrain (1600-1605/1682) était alors fort admiré en Angleterre depuis le début du XVIIIe siècle et nombres d’érudits possédaient ses œuvres. Il semble que la première rencontre de Turner avec des tableaux du Lorrain se situe en mai 1799 alors qu’il se trouve dans la maison londonienne de William Beckford (1760-1844). Cependant, il est presque certain qu’il a eu une connaissance des œuvres du Lorrain avant cette date.
Il aurait, en effet, été boulversé dans sa jeunesse à la vue de Port de mer avec l’embarquement de Sainte Ursule. A partir de 1809 et jusque dans les années 1830, Turner manifeste un intérêt sinon exclusif du moins constant pour l’œuvre du Lorrain. Il s’inspire de ses compositions, du traitement de ses personnages et surtout de son extraordinaire maîtrise de la lumière.
Les comparaisons
Une étude approfondie de l’œuvre de Turner montre que de nombreuses compositions paysagères de Turner s’inspirent sans détour de celles du Lorrain. Ainsi, Le déclin de l’Empire carthaginois reprend des compositions claudiennes telles que Port de mer avec l’embarquement de la reine de Saba ou Paysage avec le débarquement de Cléopâtre à Trase. De même, une influence formelle dans le traitement des personnages est largement visible dans Appulia à la recherche d’Appulus exposé en 1814 où l’une des femmes du groupe central est largement inspirée de celle peinte par le Lorrain dans Paysage avec Jacob et Laban et ses filles.
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NOTRE ANALYSE
L’exposition de Nancy
Cette exposition montre comment Turner s’est servi de l’art du Lorrain pour parfaire sa propre technique et comment il ira plus loin dans l’utilisation de la lumière. Turner a beaucoup plus de force artistique. Son art est plus affirmé et beaucoup plus novateur que celui de son maître, il cherche une nouvelle forme d’expression de la couleur et de la lumière. Il est le lien entre deux siècles d’histoire de l’art. La fin de sa carrière est justement caractérisée par la puissance de ses œuvres qui ne sont plus que lumière et qui délaissent le figuratif pour ne plus présenter qu’une atmosphère. Cette évolution s’est faite lentement avec la recherche constante d’un paysage idéal de plus en plus évanescent. Il tend tout d’abord vers une figuration impressionniste comme dans Scène portuaire claudienne : étude pour Didonpour aboutir à un style à la limite de l’abstraction comme dans certaines de ses aquarelles comme Soleil au-dessus de l’eau dont l’eau n’est plus que le reflet de la lumière et le soleil omniprésent irradie, éblouit le spectateur.
Bibliographie
Ian Warrel, Turner et le Lorrain, catalogue d’exposition Musée des Beaux-Arts de Nancy, Ville de Nancy, Tate, Londres, Editions Hazan, Paris, 2002.